JORI : Japon – Occident – Rome – Interdisciplinarité

JORI  : Japon – Occident – Rome – Interdisciplinarité

(coord. Antoine Pérez : antoine.perez@univ-montp3.fr)

Ce projet consiste dans la poursuite de l’étude comparée de deux systèmes paysagers antiques, le Jôri de Nakatsu (Kyushu, Japon méridional) et la limitation, réseau orthogonal qui structurait le territoire des cités du bassin méditerranéen romain, lesquels partagent une évolution historique à bien des égards semblable : à l’État impérial antique a succédé, au Japon comme dans l’Occident romain, une période féodale caractérisée par l’éclatement de l’autorité politique en multiples cellules autonomes, processus qui a eu sur les territoires des conséquences comparables, avant que les révolutions industrielles et l’essor urbain n’achèvent de démanteler, en Europe comme au Japon, la trame paysagère antique. Les remarquables similitudes entre les deux systèmes (réalisation matérielle, évolution morpho-historique, liens avec les pratiques cultuelles - culte impérial -, mécanismes d’obsolescence), autorisent de fécondes perspectives comparatistes, à la fois quant à la méthodologie de la recherche sur les anciens parcellaires, l’histoire des techniques, celle du paysage rural, et celle des sociétés et des États qui en firent un instrument éminent de contrôle et d’administration territoriale.

            Le paysage est une écriture du pouvoir. Le lien topographique organique unissant, à Kyushu, le Grand Sanctuaire d’Usa et l’espace construit — la Voie, le Cadastre et le Sanctuaire — manifeste la mise en place régionale du régime politique des Codes, à l’époque de Nara (VIIIe s.) et exprime la nature idéologique d’un gouvernement impérial fondé sur une combinaison originale du syncrétisme shinto-bouddhique et du culte de l’Empereur. C’est l’analyse – nouvelle – que suggèrent les résultats de nos travaux communs dans le cadre du « laboratoire » de l’antique province de Buzen. Cet important résultat a fait l’objet de la publication d’un premier ouvrage : « La Voie, le Cadastre et le Territoire » (PULM, 2020).

            Désormais, il s’agit d’affiner et de documenter notre analyse par la poursuite de validations de terrain, notamment par des campagnes de prospections archéologiques, des enquêtes toponymiques et codicologiques, en associant les étudiants de l’Université de Beppu, avec la collaboration active du Musée d’Histoire de la Préfecture d’Usa. Cette enquête devrait faire l’objet, à terme, d’un deuxième ouvrage.

            A ce programme scientifique s’adosse la constitution d’un dossier de classement du Jôri au Patrimoine mondial de l’UNESCO, au titre de « paysage culturel» exceptionnel : il sanctionnerait la permanence et la vivacité de manifestations cultuelles et folkloriques liées au jôri et aux sanctuaires qui lui sont associés, sans discontinuité depuis l’antiquité ; il garantirait la préservation d’un paysage rural condamné à brève échéance à la disparition par la pression foncière et immobilière ; il protègerait les paysans vivant de la riziculture et donnerait aux municipalités un moyen d’endiguer la vente des rizières aux promoteurs ainsi que de promouvoir un modèle de développement durable et intégré. La préservation du système hydraulique réglant le débit de l’inondation des rizières, lui même hérité - inchangé - de l’antiquité, garantirait enfin le maintien d’un équilibre écologique fragile et original (flore, micro-faune topiques) indissociable du bien-être et du maintien sur place des habitants. Enfin, le Classement offrirait des perspectives complémentaires non négligeables, dans le contexte spécifique d’économie culturelle et de loisir (tourisme de thermalisme, cures) qui caractérise aujourd’hui la région de Kyushu. C’est là un enjeu de société majeur, qui dépasse de loin les seules implications patrimoniales ou scientifiques.

La route du légat impérial

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Cette vidéo a été réalisée par nos collègues des Universités de Beppu et Oïta (Kyûshû, Japon) dans le cadre de nos travaux communs du Programme JÔRÎ (« Le Jori de Nakatsu et la limitatio romaine. Études comparatiste des paysages antiques du Japon et de l’Occident romain »).

Il s'agit de la reconstitution, à partir d'un survol par drone, du tracé de la Voie reliant la capitale impériale antique, Nara, au Sanctuaire mixte shinto-bouddhiste d'Hachiman à Usa (Kyûshû), vers le milieu du VIIIe siècle de notre ère (règne de Shomu). Elle permet de visualiser l'emprise du pouvoir de la Cour de Nara dans la province antique de Buzen, aux confins occidentaux de l'État du Yamato. Elle met en évidence le lien topographique unissant le grand Sanctuaire mixte avec le paysage construit selon les principes de centralisation de l'État des Codes (Voie publique, Cadastre (Jôri), édifices admnistratifs). Partant, elle illustre le rapport organique entre le syncrétisme shinto-bouddhiste et l'autorité politique du tenno (Empereur), rapport qui fonde le pouvoir impérial dans l'Antiquité japonaise. Le parcours terminal de la Voie est encore aujourd'hui l'objet d'une ambulation rituelle du Légat impérial, tous les cinq ans.

 

Dernière mise à jour : 15/02/2024