Programme 5 : Relire la description

Porteurs : M. Blaise, P-Y. Lacour, O. Tinland, S. Triaire

La description, qu’elle soit littéraire ou scientifique, n’est pas simplement une reproduction du réel, mais une construction, cognitive et épistémologique du monde, qui interroge la manière dont nous l’organisons et le représentons ; elle est aussi un mode de mise à l’épreuve de l’ordre et nous l’envisagerons donc comme un processus interprétatif, à la fois un outil d’analyse et un lieu de tension et d’exploration de la transformation des modèles et du régime de visibilité qui informent le rapport à la vérité et à la représentation du monde contemporain. La description est un procédé qui suspend l’avancée de l’intrigue pour organiser l’espace et le temps du récit. Ce faisant, elle interroge la construction de la posture narrative – que celle-ci manifeste la subjectivité du narrateur ou qu’elle mime la position objective de la science moderne, cherchant dans la nomenclature et l’énumération, par exemple, des outils d’observation rationnelle de faits mesurables et reproductibles. À partir de la fin du XIXe siècle, le récit intégrant les mutations du cadre épistémologique, elle utilise les dimensions d’incertitude et de relativité des phénomènes pour offrir un cadre d’instabilité réaliste au récit. Aujourd’hui marquée par la crise des grands récits et la pluralité des vérités, la description devient un espace où s’exposent l’instabilité généralisée des savoirs mais aussi la reconstruction de cadres narratifs et épistémologiques ouverts à la multiplicité des points de vue, à des subjectivités narratives élargies au non-humain, à la reconnaissance de la complexité dynamique et instable du réel.

Dans le contexte des nouvelles écritures de la nature, relire la description, c’est se déprendre de l’idée d’une nature saisie comme un décor stable et passif pour la reconnaître comme agent actif, milieu vivant en perpétuelle interaction avec l'humain. La description n'est alors plus simple restitution mimétique, mais (dé)composition d’un monde perçu comme enchevêtrement dynamique de forces, d’histoires et d’échelles. Dans cette perspective, l’acte descriptif se détache des anciens modèles d’objectivation pour devenir un mode d'attention accrue aux formes du vivant, à ses altérités, à ses résistances et à ses temporalités propres. L’écocritique, et en particulier la zoopoétique, invitent à relire les descriptions en insistant sur leur capacité à ouvrir des régimes d’expérience du vivant et donc à devenir des lieux d’agentivité.

Mais relire la description c’est aussi retrouver dans l’histoire littéraire des régimes de visibilité masqués par le réalisme du XIXᵉ siècle : non pas la restitution stable d’un monde donné, bâti sur l’ordonnancement, la transparence référentielle et son idéal d’objectivité, mais l’expérience fragile de l’apparaître, la dispersion des points de vue et l’enchevêtrement des formes du vivant, de la mémoire, des états de la nature.

Le programme aura deux perspectives :

1) relire les descriptions (de la nature – faune, flore, nuages, météores, atmosphères...) dans les récits, en particulier à partir du XIXe siècle, où se manifeste la conscience d’une terre finie, épuisable ;

2) dans la continuité du contrat précédent et des travaux effectués dans le programme « Connexion » avec l’université de Montréal, s’intéresser plus particulièrement au motif et aux configurations de la Terre Promise, qui n’ont cessé de composer et de décomposer les représentations occidentales de la nature et du territoire.

Les travaux prendront la forme de journées d’études bi-annuelles et d’un colloque de clôture.

Dernière mise à jour : 06/05/2025