Colloque pluridisciplinaire international Crises et légitimations de l’autorité au XVIIIe siècle

 

Colloque pluridisciplinaire international

Crises et légitimations de l’autorité au XVIIIe siècle

Université de Toulouse- Jean Jaurès

11-13 juin 2025

            Le titre du livre de Paul Hazard, La crise de la conscience européenne, est devenu une formule consacrée pour désigner le mouvement profond qui aurait donné au siècle des Lumières sa trajectoire singulière. Paul Hazard désignait par « crise », la brutale mise en question de l’autorité sous toutes ses formes, qu’il voit surgir vers les années 1680 : le geste cartésien de la table rase, la fécondité scientifique du mécanisme ; l’émergence de l’ethnologie, la découverte d’autres civilisations, les Saintes Écritures passées au crible de l’histoire et de la philologie, la lecture matérialiste de Spinoza, l’émergence de ce que Jonathan Israel a nommé « les Lumières radicales », tout cela aurait fissuré un ordre pourtant protégé par la censure et soutenu solidairement par les autorités royales, ecclésiastiques et universitaires. La monarchie de droit divin, et le dogme de Providence comme justification de l’ordre social, se voient interrogés sinon rejetés, en même temps que s’affirment la subjectivité et les droits de l’individu.  Le désir d’émancipation et de liberté se font plus pressants. Le libertinage intellectuel aussi bien que moral en témoigne, mais peut-être plus encore l’affirmation des droits de la conscience individuelle et l’aspiration à l’autonomie des sujets, contre l’hétéronomie des lois civiles et religieuses. L’individu entend désormais penser par lui-même. Les différents représentants de l’autorité, depuis le législateur et le prêtre jusqu’au savant, ne détiennent plus aucune autorité a priori et doivent (re)conquérir leur crédit.

            Au même moment cependant, l’administration étend ses ramifications et se rationalise. Selon Michel Foucault, s’inventent ainsi des pratiques plus insidieuses d’exercice de l’autorité, sous la forme d’un contrôle moral et social. Au goût de la liberté répondrait ainsi une aspiration à l’ordre. L’autorité, objet de soupçon deviendrait également objet de désir. A l’époque des Lumières, l’autorité devient une question inquiète, et parfois même un mot totem. 

            De quelle manière l’autorité peut-elle apparaître comme authentiquement légitime ? Sur quelle base l’établir désormais ?  Si elle ne prend la forme ni de la transcendance, ni de la coercition ou de la violence, doit-elle s’établir sur le mode du contrat auquel nul ne saurait se soustraire dès lors que chacun est supposé avoir consenti à son établissement ?

            Les mutations de l’autorité ne se cantonnent pas au champ politique. Dans le domaine des sciences, il ne revient plus au gentilhomme d’attester de la vérité d’une expérience scientifique.  De nouveaux principes doivent donner caution à l’expérience scientifique, à commencer par la réplicabilité. Apparaissent ainsi de nouvelles figures de l’autorité qui s’associent à de nouvelles façons de l’exercer ou de l’asseoir.  Le type de l’éducateur voit progressivement le jour. Plus tard, s’imposeront l’autorité du peuple et celle de la nation, telle que l’énonce l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Autre figure inédite, celle de l’écrivain-philosophe. On assiste en effet dans la seconde moitié du XVIIIe siècle à une véritable glorification de l’homme de lettres, législateur des valeurs, gouverneur de l’opinion, instituteur de l’humanité, aux côtés du savant qui tire profit des découvertes nouvelles, de l’héroïsme des expéditions aux confins du monde connu, et que viennent consacrer les éloges académiques.

            Inversement, la femme de sciences comme la femme de lettres peinent à établir leur autorité, révélant en creux les ressorts qui président à son institution et suggérant que celle-ci ne relève pas seulement du « charisme », mais aussi de rapports de force et de représentations préétablies. La figure de l’homme de lettres en saint laïc ne fera pas long feu, mais elle aura contribué à définir la « littérature » et les textes comme étant investis d’une forme d’autorité. Comment se constitue cette nouvelle autorité qui concurrence celle des textes révélés ? Comment s’établit ce transfert de spiritualité ? Sur les prestiges de l’émotion ? Sur un art singulier de l’éloquence ? Sur le caractère exemplaire d’une vie ? Contestation, quête des fondements, restauration ou transformation de l’autorité : tels sont les mouvements complexes, à la fois cohérents et hétérogènes dont nous voudrions dessiner le tableau. Nous espérons qu’il permettra d’éclairer sous un nouveau jour le concept d’autorité, dans le sillage de la réflexion d’Hannah Arendt selon laquelle, quand il n'y a plus ni transcendance ni nature normée, l'autorité purement humaine révèle sa fragilité et son ouverture à une contestation indéfinie. Dans une époque (la nôtre) de crise des institutions, de défaut de légitimité du pouvoir dont d’aucuns dénoncent les dérives autoritaires, de contestation d’un ordre social vécu comme plus inégalitaire, de remise en question de la culture instituée et de ses passeurs, ce colloque sera également l’occasion d’éclairer, obliquement au moins, la crise contemporaine.

Organisation : Fabrice Chassot (PLH), Géraldine Lepan (CRISES), Stéphane Pujol (PLH)

Contact : geraldine.lepan@univ-montp3.fr

Dernière mise à jour : 03/06/2025