Débattre 2022

Colloque interdisciplinaire transversal de l'équipe C.R.I.S.E.S. (EA 4424)

 

Organisé par Aline Estèves, Hélène Ménard et Olivier Tinland

19 - 20 - 21 octobre 2022 - Université Paul Valéry - Montpellier 3, Saint-Charles

 

 

Axes principaux du colloque :

  1. Les temps du débat
  2. Formes et finalités du débat
  3. Les voix du débat
  4. Mythologies et pathologies du débat

 

1. Les temps du débat

Le débat s'inscrit souvent dans un kairos : le temps de l'occasion opportune, de l'occasion à saisir. N'est-il pas paradoxal d'en faire à la fois un instant circonscrit et un moment d'argumentation, où l'on prendre le temps de délibérer, de peser le pour et le contre ? Quand peut-on considérer qu'un débat commence et qu'il est fini ?

Plus généralement, on peut s'interroger sur les grandes évolutions historiques du débat.

Dans l'Histoire, certains débats ont fait date et semblent marquer certaines époques, comme la Controverse de Valladolid, l'Affaire Dreyfus ou ceux qui entourèrent le vote de lois autorisant l'IVG ou abolissant la peine de mort. Néanmoins, le débat est-il forcément lié à des contextes historiques précis ou constitue-t-il une catégorie transhistorique ? Est-il nécessairement le reflet d'une époque ? Le passé lui-même peut faire l'objet du débat, comme on le voit actuellement avec ceux suscités par la cancel culture. L'actualité du débat s'empare alors du passé, mais peut-on vraiment débattre du passé, et si oui, à quelles conditions ?

Certains débats, qui ne semblent jamais clos, comme celui sur la peine de mort – déjà présent dans l'Antiquité – s'étendent sur de longues périodes ; d'autres cristallisent des tensions, notamment électorales, en une soirée, comme le célèbre débat télévisé entre F. Mitterrand et J. Chirac, dont on garde en mémoire les formules percutantes échangées par les protagonistes. L'évolution des médias pousse à s'interroger sur l'opposition entre le temps court du débat (tels qu'il est mis en scène sur les réseaux sociaux ou les chaînes d'information en continue) et le temps de l'argumentation, d'un débat posé qui se développe dans un contexte réflexif.

2. Formes et finalités du débat

Le débat, dans sa forme générale, semble impliquer une pluralité humaine (on peut « se débattre »  tout seul, mais on débat toujours avec autrui) et une diversité de points de vue (le débat implique un désaccord originel, susceptible d'être clarifié ou dépassé au terme de sa mise en œuvre), diversité qui peut aller jusqu'à l'antagonisme et impliquer des échanges « animés » entre les interlocuteurs (ce qui place le débat non seulement sur le terrain de la discussion rationnelle, mais aussi sur celui de la mobilisation d'affects, d'émotions, de sentiments).

Au-delà de ces points de repères élémentaires, un débat semble susceptible de prendre des formes diverses, liées à des conditions linguistiques, sociales et institutionnelles qui président à sa réalisation : à quelles conditions y a-t-il débat ? et si ces conditions ne sont pas remplies, à quoi reconnaît-on un débat qui n'en est pas (ou plus) un ? Comment faire la part d'un débat authentique et d'un simulacre de débat ? De telles questions prennent une importance croissante à une époque marquée par les transformations radicales des modalités de la confrontation des idées : peut-il y avoir encore débat au sein des réseaux sociaux ou sur les plateaux des « chaînes d’information en continu » ? La difficulté d'identifier ce qui rend possible ou impossible le débat rend d'autant plus urgente la réponse à la question de la finalité (ou des finalités) du débat : pourquoi, en vue de quoi débat-on ? À quoi bon débattre ? Est-il souhaitable de débattre de tout, et avec n'importe qui ? Le débat est-il forcément orienté vers la recherche d'un consensus ou peut-il obéir à d'autres logiques impliquant d'autres enjeux (intellectuels, sociaux, politiques) ?

La question de la finalité du débat semble inséparable de celle de son objet : Aristote soulignait déjà, dans l'Éthique à Nicomaque, que l'on ne délibère que sur ce qui est contingent, sur ce qui pourrait être autre qu'il n'est, tout en étant à la portée d'une initiative volontaire. On ne débat ni de ce qui est absolument nécessaire, ni de ce qui est absolument hasardeux, aléatoire, hors de prise des actions humaines. Mais la frontière entre les choses « contingentes » et les choses « nécessaires » est-elle si aisée à tracer ? Au sein des choses « contingentes », y a-t-il des objets éminents du débat ? Au contraire, certains objets sont-ils par nature exclus du débat ? Si l’on peut débattre des valeurs, peut-on débattre des faits ? Une telle question a pris récemment une ampleur inédite, avec l’apparition de l’idée de « post-vérité ». Peut-on confronter différents « faits alternatifs » ? Ce que l’on appelle un « fait » est-il matière à débat et à controverse, et un tel débat peut-il être considéré comme légitime ? De telles questions concernent non seulement les rapports entre les sciences de la nature et la sphère politique, mais elles constituent aussi des enjeux essentiels pour les sciences humaines : on citera ici le problème classique de la construction du « fait historique » ou de la « réalité sociale ».

3. Les voix du débat

L'un des paramètres essentiels de toute forme de débat concerne les personnes impliquées dans les échanges. De fait, à chaque époque, les conditions du débat ont pu être définies en présupposant des mécanismes d'exclusion de certaines catégories de personnes (esclaves, femmes, immigrés, pauvres, etc.).

On pourra ainsi se demander comment et à quelle fin les personnes en présence sont sélectionnées et par qui ; comment certaines personnes s'arrogent la parole si elle leur a été enlevée ou refusée. Quels protocoles, formes et médias de communication sont censés garantir la représentativité des personnes invitées à débattre et l'équité dans leur prise de parole, en particulier dans un cadre démocratique ? Quelles ont été, et quelles sont actuellement, les raisons avancées pour exclure certaines catégories sociales (que l'on pense aux problématiques genrées, raciales, idéologiques, religieuses, sociales, etc.) du débat démocratique ? Quelles formes prend cette exclusion (invisibilisation à l'image, dans les choix linguistiques à l'écrit, discrédit systémique fondé sur des représentations stéréotypées, etc.) ? Voit-on se dessiner des évolutions dans les processus d'exclusion et dans les formes de réponses (supports oraux, écrits ou iconographiques) apportées par les « exclu.e.s » pour se faire entendre ?

On portera ainsi tout particulièrement attention :

  • aux nouveaux « objets » médiatiques fournis par la technologie contemporaine – qu'il s'agisse des applications de réseaux sociaux, des sondages, des collages et inscriptions murales, de toute forme de message collectif passant par la rue, réelle ou virtuelle, etc.
  • aux formes discursives déployées selon les époques et les sujets pour qualifier ou disqualifier la prise de parole d'une personne, depuis le discours argumenté et l'éloge, jusqu'à l'insulte et la diffamation via des médias instantanés ;
  • à la « qualité » des personnes impliquées dans le débat : qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, quels sont les interlocuteurs exclus, élus et choisis ; commanditaires : arbitres des débats ; place et rôle des experts, des journalistes et des chroniqueurs, comme des bloggeurs/youtubeurs/influenceurs, enfin de l'intellectuel, face aux politiques et aux publics ;
  • à la manière dont sont « qualifiées » les différentes voix de débat – comment sont identifiées, perçues et différenciées la voix pédagogue et la voix sectaire, la voix populiste et la voix politique, la rhétorique argumentative et la manipulation idéologique, etc.
4. Mythologies et pathologies du débat

Dans l'affirmation que le débat est inséparable de formes démocratiques, se mesure l'importance de modèles, qui demandent à être interrogés, voire à être déconstruits.

Ainsi en est-il de la revendication du modèle de l'ecclesia athénienne, qui nourrit toutes les représentations de la démocratie occidentale moderne : dans ce modèle, tout citoyen a le droit de prendre la parole et de formuler des propositions, en conformité à des principes tels que l'isegoria (égalité dans le droite de parole) et la parrhesia (liberté du discours).

Parmi les autres modèles qu'il s'agira d'interroger : le dialogue socratique, souvent présenté comme un cas paradigmatique de débat, en dépit de l'asymétrie de position due à sa nature maïeutique.

Peut-on considérer que le débat est enfermé dans les formes du passé, ce qui entraînerait une délégitimation de ses formes nouvelles, dès lors qu'elles prétendent s'affranchir de ces modèles ? Ou faut-il faire droit à des formes inédites de débat ?

La prégnance de modèles du débat entraîne également la définition de formes normées, et donc, par contrecoup, de pathologies ou de déviances dans le champ éristique. On pourra notamment s'interroger sur le rôle que jouent les émotions, qu'on oppose volontiers à la rationalité et à l'expertise, dans l'altération des formes convenues ou admises du débat.

 

Contacts :

aline.esteves@univ-montp3.fr

helene.menard@univ-montp3.fr

olivier.tinland@univ-montp3.fr

Dernière mise à jour : 08/11/2023