ANR Jeunes Chercheuses Jeunes Chercheurs (2024-2028)
Abbesses & Seigneuresses : une autre histoire de la réforme catholique (XVIIe siècle)

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Les dernières années du XVIe siècle voient le début d’un vaste mouvement de réformes qui touchent les monastères bénédictins féminins, dans la lignée d’un plus large mouvement réformateur entamé à partir de la fin du XVe siècle, accéléré par les décrets du Concile de Trente. Dans le cas des bénédictines, l’historiographie traditionnelle, qui s’est développée dès la seconde moitié du XVIIe siècle autour des Éloges de la Mère Blémur, a beaucoup insisté sur des figures individuelles d’abbesses réformatrices. Ces dernières ont été présentées comme les restauratrices de la stricte observance, rétablissant l’ordre dans des établissements souvent décrits comme abandonnés ou en déshérence. La réforme apparaît avant tout comme un processus spirituel, luttant contre les abus, nécessaire et justifié. Cette histoire d’une réforme exclusivement spirituelle a été ensuite reprise par les historiens et historiennes jusqu’à très récemment, qui ont reproduit, d’une certaine manière, le discours qui s’est élaboré au sein des communautés régulières.
Cependant, ces réformes monastiques de la fin du XVIe et du XVIIe siècle comportent d’autres aspects largement délaissés par l’historiographie, en particulier française. En effet, le décret tridentin consacré au monde régulier insiste pour les religieuses sur les aspects économiques de la vie conventuelle. La stricte clôture qui est rappelée est devenue indissociable revenus financiers stables, en dehors des dots et de la mendicité désormais interdite. Les fonds des abbayes situés dans les différentes archives départementales, délaissés par l’historiographie religieuse, se caractérisent par une abondance de ces sources dites temporelles, qui soulignent l’importance de la question économique dans les préoccupations conventuelles en général et de la réforme en particulier pour le XVIIe siècle.
Ce projet de recherche ANR JCJC « Abbesses & Seigneuresses : une autre histoire de la réforme catholique (XVIIe siècle) » souhaite précisément réinterroger ces processus de réforme régulière qui se développent au XVIIe siècle pour les bénédictines, en partant de ces nouvelles normes socio-économiques, afin de comprendre comment ce moment de réformes transforme l’activité même des religieuses, mais aussi leurs rapports sociaux, économiques et juridiques avec les territoires qui dépendent de ces monastères, notamment dans le cadre de la seigneurie.
Inscrit dans des pratiques et une méthodologie interdisciplinaire, ce projet de recherche a pour ambition de réévaluer la place de ce monde régulier féminin bénédictin dans la société d’Ancien Régime, au croisement de l’histoire religieuse, sociale et économique. Articulé autour de deux axes principaux, il souhaite étudier autant les actrices et les acteurs qui agissent au sein de ces différents processus, que les conséquences de ces réformes sur les territoires concernés, tant sur le plan économique, social que juridique. L’approche par cas sera au cœur de ce projet, favorisant la dimension comparative, l’articulation des différentes échelles, et permettant de prendre en compte la diversité des territoires étudiés.
COLLOQUE Parcours ecclésiastiques, parcours économiques, à l’ère des divisions confessionnelles.
Montpellier, les 13-14 novembre 2025.


Ce colloque, co-organisé par Nicolas Guyard, Elena Guillemard et Marion Deschamp (Université de Lorraine CRUHL et IUF), souhaite questionner les ressorts économiques qui structurent les parcours et choix de religion d’hommes et de femmes de l’Europe moderne, dans un contexte marqué par une pluralisation des confessions chrétiennes. Il cherche d’abord à saisir, aussi bien à travers des trajectoires individuelles que des itinéraires collectifs, quel peut être « le coût de la foi » ou le « prix à payer » pour se conformer à ses convictions religieuses. Il propose aussi de scruter les pertes et les gains (symboliques ou financiers) qui jouent dans les prises de décision conditionnant l’entrée ou la sortie de religion, mais aussi le passage des frontières confessionnelles, qui impliquent des changements de condition et de statut aussi bien religieux qu’économiques. Si le point de départ est bien de battre en brèche l’idée d’une « distinction, quasi ontologique, entre réalités religieuses ou morales et réalités économiques » (Lauwers, 2022, p. 318), l’objectif n’est pas de lever le voile sur les calculs intéressés des agents historiques ou de démasquer les logiques de recherche ou maximisation de profits qui animeraient les institutions religieuses et leurs membres, au-delà des idéaux de pauvreté ou d’ascétisme. Il s’agit bien plutôt de postuler l’encastrement ou l’interpénétration du religieux et de l’économique et de relativiser l’autonomisation des deux champs, en rappelant notamment l’intrication de ces deux motifs dans les carrières au sein puis, parfois, hors les murs des Églises chrétiennes. Ce parti-pris nous permettra notamment d’initier une réflexion sur la valeur de l’engagement religieux, au croisement entre trésors de l’au-delà (biens du salut) et richesse intramondaine (biens économiques).
Ce faisant, le colloque se situe à la croisée de plusieurs terrains de recherche, particulièrement actifs et dynamiques ces dernières décennies :
1) Il s’inscrit, d’une part, dans une interrogation plus large sur les liens entre économie et religion. Ces rapports ont bénéficié, ces dernières décennies, d’un large regain d’intérêt au sein des science sociales, qu’il s’agisse de rediscuter des auteurs classiques (Weber, Mauss, Dumont) ou de confronter les idées reçues aux sources historiques ou aux terrains ethnographiques. En histoire, les questionnaires de recherche ont connu un grand renouvellement. Dès les années 1980, les approches anthropologiques des faits religieux ont permis de se pencher sur l’économie des dévotions, les systèmes de conversion (commutatio) entre biens matériels et spirituels ou les rationalités économiques à l’œuvre dans certaines pratiques religieuses (et vice-versa). Plus récemment, la perspective de l’histoire sémantique, ouverte notamment par G. Todeschini, a mis en évidence le lien entre mises en mot spirituelles et économiques, en restituant l’origine sémantique théologique des catégories du langage économique occidental. Un certain nombre de recherches ont quant à elles permis d’articuler les dimensions individuelles et collectives de la richesse, de la propriété ou de la vie matérielle, à travers l’étude du fonctionnement et de la gestion économique des institutions monastiques, des fondations pieuses, ou des missions, participant à la redéfinition du bien commun.
Tout en charriant nombre des interrogations soulevées et des méthodes déjà éprouvées par ces recherches, le présent colloque entend se concentrer sur un locus particulier de la rencontre entre économie et religion, à savoir l’individu clérical mais aussi ceux, nous le verrons, qui lui sont rattachés ou subordonnés. Il cherche ainsi à questionner la distinction qui a longtemps été faite entre homo religiosus et homo oeconomicus, en proposant une histoire sociale du vécu en religion et en appréhendant ensemble logiques de prestige, d’intégration sociale, de dynamiques familiales, d’affirmations et/ou de réinventions religieuses. Ce n’est, en tout cas, qu’en multipliant les enquêtes empiriques sur des cas volontairement circonscrits que l’on pourra mesurer l’encastrement de l’agir économique dans les parcours ecclésiastiques et, peut-être, établir des comparaisons ou des distinctions d’un espace confessionnel à l’autre.
2) Ce colloque s’inscrit, d’autre part, dans le cadre du renouvellement historiographique qu’a connu la notion de « trajectoire sociale », soit à travers les portraits de groupe (et les méthodes prosopographiques) soit à travers des parcours de vie (approche biographique et/ou micro-historique) permettant de réfléchir aux dimensions dynamiques et labiles des identités vis-à-vis de leurs ancrages et assignations sociales. Dans le domaine de l’histoire religieuse, le caractère nomade, changeant ou comme « en pointillé » de certains parcours cléricaux à l’échelle d’une vie ou d’une tranche de vie rappelle l’importance des mobilités (spatiales, institutionnelles, identitaires) au sein des Églises et entre elles. Par ailleurs, plusieurs études récentes articulent parcours individuels, motifs économiques et décisions religieuses, notamment sur la question de la conversion. On pense notamment aux travaux d’Isabelle Poutrin (pour les familles juives romaines) ou ceux de Monica Martinat (pour les protestants lyonnais), qui mettent l’accent sur les coûts, enjeux et bénéfices économiques de la conversion, tout en les resituant dans des contextes institutionnels, familiaux et sociaux précis. Si les récompenses matérielles ou symboliques n’épuisent pas les registres de justification et d’action conduisant à la décision (parfois contrainte) de se convertir, l’examen des diverses motivations (aussi bien économiques que religieuses), permet de dépasser l’ancienne dichotomie entre sincérité religieuse/ convenance économique et de mettre en avant la relation intime entre vie matérielle et vie spirituelle.
Le présent colloque, néanmoins, entend dépasser le seul motif de la conversion pour interroger de manière plus large un éventail de situations qui peuvent être considérées comme des moments de crise, d’ouverture ou de fermeture des possibles, et qui soumettent des hommes et des femmes en religion à des choix ou des contraintes d’ordre économique. En ce sens, nous nous intéresserons non seulement aux clercs (clergé féminin et masculin, clergé catholique et protestant) mais aussi aux individus et institutions qui partagent leur destinée économique (à l’instar des frères et sœurs laies, des veuves de pasteurs protestants, des « bonnes de curé » et autres personnels de la domesticité ecclésiastique, etc.).
Parmi les pistes à explorer, les contributions pourront ainsi se pencher (sans exclusivité) sur les sujets suivants :
- Conversions religieuses et reconversions/réinventions économiques : quels bouleversements économiques sont induits par les changements de religion et, selon les cas, les changements d’état (clérical et laïc) ? Qu’est-ce qu’implique, par exemple, le choix de quitter ou de rester au couvent ? Qu’est-ce qui peut aussi expliquer la mobilité extrême de certains itinéraires de vie, oscillant parfois de manière réitérée entre état laïc et ecclésiastique, ou d’une confession l’autre ?
- Réseaux d’entraide matérielle et financière (et leurs limites) : quels réseaux formels ou informels de solidarité mobiliser lorsque les engagements religieux mettent la survie matérielle en péril ? Quelques cas, pêle-mêle : prêtres, religieux ou pasteurs refusant de se (re)convertir dans les territoires passés à une autre confession, clergé réfractaire et/ou en exil durant la Révolution, etc.
- Tout travail mérite salaire ? Les rémunérations liées au ministère ont toujours suscité des tensions, qui peuvent exprimer des craintes et préoccupations très matérielles mais aussi des discussions d’ordre plus théologique sur la gratuité de la prédication ou la professionnalisation des experts de la manipulation des biens du salut. Quelles conséquences pratiques peuvent avoir les réalités pécuniaires sur les choix de carrière ou sur les critères d’allocation et/ou de partage de richesse à l’intérieur des institutions cléricales ?
- Tout travail mérite salaire, mais après ? Quels débats et quelles pratiques se nouent autour des prêtres et pasteurs invalides ou trop âgés pour assurer leur ministère, quant à leur prise en charge économique ? Quelles ressources discursives et justifications théologiques peuvent être mobilisées, au service des clercs désormais « désœuvrés » ?
- Le prix du travail reproductif : une nette division du travail se produit aussi bien au sein des monastères que des presbytères ou des foyers pastoraux. Quel est le prix financier et la reconnaissance symbolique des activités reproductives (bien souvent féminines) qui assurent aux moines les conditions de possibilité des idéaux contemplatifs ou aux prêtres et ministres la conduite de leurs tâches pastorales ?
- Biens individuels/ Biens collectifs : Que signifie l’abandon des biens lors de l’entrée des religieuses au couvent ? Les religieux et religieuses peuvent-ils récupérer leurs biens en sortant ? Comment sont pragmatiquement gérées les tensions entre idéal de pauvreté et réalité de possessions matérielles ?
Contacts : nicolas.guyard@univ-montp3.fr & elena.guillemard@univ-montp3.fr




